Evasion fiscale des particuliers

Who Owns the Wealth in Tax Havens? Macro Evidence and Implications for Global Inequality


Document de travail d'Annette Alstadsæter, Niels Johannesen et Gabriel Zucman publié dans le Journal of Public Economics en 2018.

Résumé

Alstadsæter et al. fournissent une ventilation par pays de la propriété de la richesse offshore. Ils montrent en outre que les mesures de l’inégalité de la richesse augmentent si la distribution inégale de la richesse offshore cachée est prise en compte. Tout d’abord, les auteurs actualisent les estimations de la richesse offshore mondiale proposées par Zucman (2013), qui s’appuient sur trois sources d’information : les statistiques détaillées de la Banque nationale suisse (BNS) sur les fonds gérés par les banques suisses pour le compte d’étrangers, les divulgations des principaux paradis fiscaux concernant la propriété étrangère des dépôts bancaires détenus dans leurs banques et les anomalies que l’on peut observer dans les séries du FMI sur les investissements de portefeuille transfrontaliers. Les auteurs constatent que 8 % de la richesse financière des ménages dans le monde, soit 10 % du PIB mondial, est détenue dans des paradis fiscaux, sans qu’aucune tendance temporelle particulière ne soit observée au cours des années 2000.

Deuxièmement, les auteurs proposent une attribution pays par pays de leur estimation de 5,6 trillions USD de richesse offshore en se concentrant sur l’année 2007. Ils attribuent la richesse détenue en Suisse en utilisant les statistiques de la BNS sur les dépôts fiduciaires détenus à l’étranger et recoupent la distribution résultante avec la base de clients de HSBC Suisse, révélée en 2007 lors des “Swiss leaks”. Puis, ils étendent cette distribution aux autres paradis fiscaux qui ont commencé à publier des statistiques bancaires bilatérales via la Banque des règlements internationaux en 2016. A titre d’exemple, si 5% des dépôts détenus à Jersey sont déclarés comme provenant d’Allemagne, cette dernière se voit attribuer 5% de la richesse financière totale estimée détenue à Jersey. Les résultats par pays révèlent des différences majeures entre les pays. Mesuré en pourcentage du PIB de leur pays, les contribuables scandinaves possèdent relativement peu de richesse offshore (quelques points de pourcentage), les contribuables d’Europe continentale en possèdent environ 15% et en Russie, dans les pays du Golfe et dans certains pays d’Amérique latine, le pourcentage atteint 60%.

Troisièmement, Alstadsæter et al. soutiennent que la richesse offshore cachée ne se reflète pas dans les déclarations d’impôts traditionnellement utilisées pour évaluer les inégalités de richesse. Leurs résultats indiquent que la propriété de la richesse offshore est très concentrée au sommet de la distribution de la richesse, avec 80% appartenant aux 0,1% des ménages les plus riches. Ils révisent donc les estimations existantes de la part de la richesse des 0,01 % les plus riches. Cela conduit à des corrections à la hausse de l’inégalité de la richesse, bien qu’avec une hétérogénéité significative entre les pays.

Principaux résultats

  • Les résultats suggèrent que 8% du patrimoine financier des ménages dans le monde, soit 10% du PIB mondial, est détenu dans des paradis fiscaux. En 2007, cela représentait 5,6 trillions USD.
  • Le montant de la richesse détenue dans les paradis fiscaux (en pourcentage du PIB mondial) est resté relativement stable entre 2000 et 2015.
  • Les pays qui détiennent un montant de richesse plus important en Suisse que ce que leur part du PIB mondial laisserait supposer forment un groupe hétérogène. Il comprend les principaux exportateurs de pétrole, un certain nombre de pays d’Europe continentale et d’Amérique latine, ainsi que diverses autocraties.
  • Pour les économies asiatiques et les États-Unis, d’autres paradis fiscaux sont relativement plus importants.
  • Alors que la richesse offshore par rapport au PIB ne représente que quelques points de pourcentage dans les pays scandinaves, ce ratio passe à 15% en Europe continentale et à 60% en Russie, dans les pays du Golfe et dans certains pays d’Amérique latine.
  • L’incorporation de la richesse offshore dans les inégalités de richesse entraîne d’importantes corrections à la hausse. Dans les pays scandinaves, la part de la richesse des 0,01% supérieurs passe d’environ 4% à 5%. Au Royaume-Uni, en Espagne et en France, on constate que 30 à 40 % de la richesse des 0,01 % des ménages les plus riches est détenue à l’étranger. En Russie, la grande majorité de la richesse des plus riches est détenue en dehors du pays.

Implications politiques

  • Les conclusions des auteurs ont des implications majeures pour l’estimation des inégalités de richesse et l’évolution de la part de la richesse supérieure depuis les années 1950. Par exemple, ils montrent que la part de la richesse des 0,01 % les plus riches est aujourd’hui nettement plus élevée en France qu’elle ne l’était au début des années 1950.
  • Alstadsæter et al. appellent également à la publication de statistiques bancaires plus détaillées par les juridictions à faible fiscalité et les paradis fiscaux, en suivant par exemple le modèle de la Banque nationale suisse.

Données

Pour leurs estimations du montant de la richesse détenue dans les paradis fiscaux au niveau mondial, les auteurs combinent les statistiques de la Banque nationale suisse (BNS), les informations publiées par divers paradis fiscaux sur les dépôts bancaires détenus par des étrangers sur leur sol et les séries d’investissements de portefeuille transfrontaliers du FMI.

La richesse offshore est répartie entre les pays sur la base des données de la BNS et des statistiques bancaires locales enrichies de 2016 de la Banque des règlements internationaux (BRI). Ces répartitions sont comparées aux données de fuites recueillies par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). [en savoir plus sur ces sources de données]

Méthodologie

Dans cette étude, les auteurs développent des analyses descriptives de macro-données. Ils vérifient la robustesse de leurs estimations en se basant sur les fuites de données au niveau individuel.

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L’article original peut être trouvé sur le site du Journal of Public Economics ou téléchargé sur le site de Gabriel Zucman. [pdf]